Monteiro thibaud Delmas Jérôme Xavier Onrazac Durand Fabien
(Le texte ci-dessous est un extrait d'un mémoire de métallurgie que nous avons réalisé à l'École Nationale d'Ingénieurs de Tarbes)
Résumé :
Les métaux sont
utilisés dans la fabrication des armes blanches
depuis 4000 ans avant J.C.; et au cours du temps toutes les techniques
de fabrication et
de traitement thermique employées ont été
découvertes fortuitement. Au départ, les
métaux non ferreux (en général le cuivre et ses
alliages) étaient privilégiés et
leur mise en oeuvre relevait surtout du hasard et des traditions.
Dès que les progrès techniques ont permis de fondre le
fer (vers 1200 avant J.C.) les
autres métaux ont commencé à disparaître des
armes blanches.
Très vite, tous les procédés de durcissement du
fer et de l’acier ont été
découverts empiriquement, et transmis de
génération en génération; on note peu
d’évolutions jusqu’au premier millénaire après J.C.
C’est à cette époque que les aciers damassés se
répandent, amenés en Europe par
les Maures et très prisés au Japon.
L’acier utilisé pour réaliser les lames damassées
provenait généralement de
gisements particuliers où le minerai extrait contenait
déjà un fort pourcentage de
carbone (environ 2%).
Quelques mines ont d’ailleurs conservé une grande
renommée (comme Damas ou Tolède)
jusqu’à ce que la diffusion du carbone dans le fer soit
complètement maîtrisée.
Jusqu’à cette époque, la fabrication des armes blanches
était la source de la
plupart des innovations dans le domaine métallurgique.
Après l’apparition des armes à feu, les armes blanches
n’ont plus généré
d’innovations, mais ont profité de celles apportées par
d’autres domaines.
Ainsi, le grenaillage et les aciers inoxydables n’étaient pas
directement destinés
aux armes blanches.
Le 20ème siècle a
apporté une connaissance précise des matériaux
et de leurs procédés de fabrication, grâce à
d’importants progrès scientifiques
et technologiques comme le microscope, les rayons X . . .
La dernière évolution technologique dans les armes
blanches est l’apparition des
aciers maraging dans l’escrime moderne. Ils apportent aux armes une
grande dureté et
une bonne flexibilité qui garantissent la sécurité
des sportifs.
Mais ces caractéristiques ne sont pas encore suffisantes,
après une bonne pratique de
l’escrime nous pensons que les recherches pourraient s’orienter vers un
matériau anisotrope pour induire une flexion de la lame dans une
unique direction.
Ainsi, l’évolution des techniques de fabrication des armes blanches n’est pas arrivée à son terme.
Introduction
La découverte des
matériaux métalliques a été une
révolution dans
le mode de vie de l’homme. ses premières applications furent, en
particulier, les
armes blanches, qui donnèrent lieu à des
évolutions fondamentales dans le domaine de la
métallurgie.
C’est pourquoi nous avons décidé de traiter ce sujet,
même si aujourd’hui il
peut paraître désuet.
Afin d’étayer nos recherches, nous avons pris contact avec des fabricants actuels, mais aussi avec des utilisateurs et des passionnés. Nous avons aussi rencontré un archéologue qui nous a montré des armes retrouvées dans des tumulus, et nous a expliqué les modes de recherche actuels.
Cependant, la fabrication actuelle
des armes blanches conserve quelques
secrets, surtout en ce qui concerne le traitement thermique ou la forge.
Malgré notre insistance, nous n’avons pas obtenu de la part des
entreprises tous les
renseignements escomptés.
Nous présenterons les armes blanches et leurs procédés de fabrication de manière chronologique, depuis les premières armes en cuivre et alliages de cuivre, jusqu’aux aciers maraging utilisés en escrime moderne, tout en développant les matériaux ou les techniques qui ont marqué l’histoire.
La petite histoire de la métallurgie des armes blanches
Depuis, environ 4000 ans
l’évolution de l’armement a suivi
de près celle de la métallurgie. L’introduction du fer en
tant que constituant de
la lame est considérée comme la révolution la plus
importante dans l’histoire de
la métallurgie des armes blanches. Cet événement
survint 1000 ans avant notre ère, et
depuis cette date, l’importance de ce matériau n’a cessé
de prendre de
l’ampleur.
On situe le berceau de la production des armes en cuivre en Perse et
celle des armes en
fer le long de la côte turque actuelle de la Mer Noire.
Au début du deuxième
millénaire avant J.C., le fer était encore
très rare et extrêmement coûteux. Au 19e
siècle avant J.C., le fer était
encore 8 fois plus chère que l’or, 40 fois plus cher que
l’argent et 400 fois
plus cher que le cuivre ou l’étain. Au 7e siècle
avant notre ère, en
Grèce, 1g d’argent coûtait déjà le prix de 2
kg de fer. Le fer était devenu un
matériau utilitaire, et les armes fabriquées à
base de fer se multiplièrent.
Quel fut donc le facteur qui provoqua ce brusque déploiement de
la fabrication des armes
en fer dans l’antiquité? Dans les années 1200 av. J.C.,
les approvisionnements en
cuivre et en étain se firent rares. Les forgerons de
l’époque se penchèrent donc
sur un nouveau matériau. Ils abandonnèrent petit à
petit la fabrication des armes en
bronze pour celles en fer et plus tard, pour un véritable
alliage: l’acier.
C’est durant le premier millénaire que les plus grandes découvertes en matière de fabrication des armes blanches se firent. En effet c’est lors de cette période que se vulgarisa la fabrication d’épées par forgeage et soudage répétés de fer et d’acier. Nous pouvons nommer pour mémoire les lames du japon, des pays islamiques (Damas, Tolède), du monde occidentale ( armes mérovingiennes).
Que se passa-t-il au cours des siècles qui suivirent? Et bien, pas grand chose, jusqu’à l’apparition des aciers maraging qui sont utilisés pour la fabrication de l’arme d’escrime moderne (sabre, épée, fleuret).
tableau récapitulatif de l'historique
A/ Les traitements des métaux pour la fabrication d’armes blanches de l’antiquité au moyen age
Les
plus récentes histoires de la métallurgie de
l’antiquité et du moyen âge sont, tout autant que leurs
devancières, grevées
d’une certaine hypothèque documentaire. Le nombre croissant de
découvertes
archéologiques et d’analyses de laboratoire contraste avec la
pauvreté des
ressources littéraires. En fait, la quantité des textes
disponibles ne s’est guère
accrue depuis la Renaissance. Leur interprétation a certes
progressé, mais les
informations que l’on tire de ces documents permettent rarement
d’entrer dans le
détail des procédés.
Un secteur déshérité des littératures, la
littérature des recettes, est susceptible
d’apporter d’utiles informations.
Le plus ancien de ces recueils est le papyrus de Leyde, copié
vers 300 de notre ère, qui
compile des procédés artisanaux et des expériences
alchimiques de laboratoire (1). Une
bonne partie de ces recettes se retrouvent traduites mot pour mot, dans
de nombreux
ouvrages à travers tout le moyen âge avec par exemple les
Compsitiones du manuscrit 490
de Lucques (8e siècle) (2) et la Mappae Clavicula (9e
siècles)
(3). Beaucoup de procédés techniques ont
été incorporés, au 10e siècle,
dans la compilation des Alchimistes Grecs (4). Enfin, la Diversarum
artium schedula du
moine Théophile reflète surtout la pratique contemporaine
des ateliers monastiques du
haut moyen âge et constitue de ce fait un précieux recueil
d’informations.
L’exploitation de tels documents exige diverses précautions critiques. Il faut d’abord par analyse des ces documents déterminer l’âge de la recette. Ensuite, la distinction n’est toujours aisée entre un réel procédé d’élaboration d’une arme et une pure recherche de laboratoire, particulièrement la recherche alchimique.
1 la cémentation du bronze par l’arsenic:
De nombreuses armes du Bronze Ancien, découverts en Europe Occidentale, en Égypte, en Palestine, Dans le Caucase et le monde égéen contiennent des proportions significatives en arsenic (1 à 9 %).
Le bronze à l’arsenic a précédé, puis souvent concurrencé le bronze dit d’étain. On a pensé qu’il provenait accidentellement de la fusion de minerais mixtes (enargites, Cu3As2s4, tennantite, Cu12As4S13).
Dans ce cas, comment expliquer que l’arsenic ne soit pas évaporé dans le grillage et la fusion pour matte nécessaires à l’élimination du soufre?
En fait, l’arsenic possède d’excellents effets sur la coulabilité et sur les propriétés mécanique du cuivre (durcissement structural (5)). Il semble donc que ces alliages soient intentionnels. Certains poignards présentent une surface argentée, enrichie en arsenic, ce qui fait penser à une cémentation. Or, l’arsenic natif est rare; l’arsenic métal, très volatil et difficile à isoler, n’apparaît que tardivement chez les alchimistes. La cémentation a donc dû se faire par les minerais d’arsenic, orpiment As2S3 et réalgar As3S4.
A l’époque classique, l’arsenic n’apparaît plus dans les analyses qu’à l’état de traces. Les textes, de leur côté, ne sont pas précis. Ils mentionnent du cuivre blanc (aes candidum) qui passe pour un produit de Gaule, dont la composition est inconnue. Un fragment présumé du Traité des métaux perdu de Théophraste, rapporte les faits suivants:
" Le cuivre des Mossynèques est dit-on, très brillant et très blanc. On n’y mêle pas d’étain, mais on met au feu avec lui une certaine terre indigène".
Dans son Traité des pierres, le même Théophraste fait allusion à une terre qui, mêlée au cuivre, fond et donne une belle couleur à la lame du glaive. L’opération décrite est bien une cémentation, mais, dans tout les cas, l’alliage peut être arsénifère, zincinifère ou même stannifère (par fusion réductrice du cuivre et de la cassitérite); mais les deux derniers procédés ne concernent pas l’élaboration d’armes blanches.
C’est la littérature qui donne les détails sur le procédé. Il ne s’agit plus de remplacer l’étain, mais de donner aux armes de bronze une couleur flatteuse. Sous le titre Blanchiment du cuivre, le papyrus 10 de Leyde, préconise de fondre le métal, d’y incorporer 2 drachmes de réalgar en décomposition (en cours d’oxydation) et 5 drachmes d’alun lamelleux (alun de fer, Fe2(SO4)3) avec de la cire (réducteur).
Dans le même but, quatre recettes de la Mappae Clavicula décrivent la cémentation du cuivre en fusion par l’orpiment cru (non grillé) (arsenicum, oripigmentum). Ces quatre dernières recettes sont quantifiées; il y a autant (en masse) d’orpiment que cuivre. L’orpiment peut donner au cuivre diverses teintes (noir, blanc, ou même jaune).
Il faut supposer que le grillage et la réduction de l’oxyde s’opéraient en cours de fusion. On obtenait un alliage blanc, auquel on pouvait allier de l’argent. De tels alliages sont longtemps restés en usage sous le nom de " false silver ".
En fondant, l’arsenic risquait de s’évaporer, et l’alliage de perdre sa couleur. C’est pourquoi, les Compositiones de Lucques recommandent d’opérer la fusion sous le couvert de poudre de verre, qui en fondant forme un couche protectrice.
Aux yeux des premiers alchimistes, la cémentation du cuivre par l’arsenic paraissait susceptible de constituer une voie ad album, c’est à dire la voie vers l’argent. Ces techniques de blanchiment du cuivre connaîtront, chez les alchimistes du moyen âge une immense diffusion.
Mais la documentation nous fait défaut pour déterminer si la pratique alchimique a redécouvert le procédé ou si elle s’enracine dans une pratique artisanale qui s’est maintenue. En effet, avec l’apparition à grande échelle du fer, les armes de cuivre vont petit à petit céder leurs place aux lames d’aciers
2 la cémentation du fer par le carbone
Dès le début de l’âge du fer, des armes et des outils apparaissent constitués, au moins superficiellement, de martensite. Ce sont donc des aciers, produits par cémentation et trempe. Le fer chauffé dans les charbons du four au stade d’austénitisation (890°c), absorbe le carbone contenu dans le charbon de bois. par refroidissement rapide (trempe à l’eau), la structure de cet acier passe d’austénitique à martensitique, structure contenant des carbures de fer durs et cassants.
Dès l’époque classique grecque, des lames ont une structure beaucoup plus complexe et sont partiellement constituées de ferrite et perlite (aciers doux) obtenues soit par recuit, soit par refroidissement différencié. On mentionnera pour mémoire les fers différenciés des lames corroyées (damas soudé, pattern-welding) et du damas oriental auquel nous consacreront un chapitre. Tholander a trouvé à Chypre 23 couteaux (1050 av. J.C.) dont deux au moins avaient été non seulement cémentés et trempés, mais aussi revenus.
Les textes sont, sur ce point, avares de détails. Ils distinguent diverses qualités de fer, appropriées à différents usages, mais il s’agit souvent de fers naturels ( phosphoreux, magnésifères). La terminologie est intéressante:
- s t o m a désigne la pointe ou tranchant (le latin utilise acies).
- s t o m w s i z désigne l’action de durcir la lame par trempe (le latin utilise aciarium).
- s t o m w a désigne le résultat, c’est à dire l’acier.
Depuis Homère, ils insistent sur la trempe, l’aspect le plus spectaculaire de l’opération. Pline rapporte que certaines eaux conviennent mieux que d’autres à la trempe. On ignore s’il s’agit d’un slogan publicitaire ou de l’observation. Par exemple, l’eau chargée en sel ne refroidit pas le métal à la même vitesse qu’une eau non minéralisée.
Nous savons aujourd’hui que le coefficient de transfert de chaleur entre le métal et le liquide varie avec la qualité milieu de trempe. De même, certaines lames étaient trempées à l’huile. En effet, l’huile par sa viscosité, donne une trempe plus douce, et diminue les contraintes liées à la formation de la martensite, qui sont particulièrement sensibles dans des pièces telles que les lames qui se briseraient au premier coup porté.
La trempe au sang de bouc (et parfois humain) doit répondre aux même exigences. Il faut ajouter une dimension mythique à cette dernière opération. les croyances de l’époque voulaient que la force de l’âme de la victime aille renforcer l’arme et la rende supérieure à une arme plus traditionnelle.
A partir de quand le carbone cessa-t-il d’être apporté par les charbons du foyer pour venir d’un véritable cément appliqué sur la lame? On ne peut le dire. Toutefois, la Collection des alchimistes contient, un véritable traité de sidérurgie, en 5 chapitres.
Le premier s’intitule " trempe de l’acier indien ". Il prescrit de chauffer le fer doux en petit morceaux avec de l’écorce de dattier sur des charbons avec de la magnésie. Ensuite, sous le titre de " trempe du fer (p e r i b a j h z s i d h r o n ) " viennent 4 céments.
Le deuxième comprend corne de chèvre brûlée et broyée, le double de sel, (qui accélère la réaction et qui semble-t-il est encore présent dans nos céments commerciaux actuels), de l’eau qui rendra la pâte humide, pour mieux tenir sur le tranchant. Après martelage au feu, on trempe. Les outils à tailler la pierre et ceux qui n’ont pas une pointe aiguë (pièces massives) sont simplement trempés. Pour ce qui nous concerne, pour les épées et les coutelas, le tranchant est recouvert d’un chiffon ou d’une pelote de laine trempée dans l’eau, ce qui a pour but de modifier les échanges de chaleur entre le métal et l’eau. Il est possible que cela détruise la gaine de vapeur qui se forme entre le métal et l’eau et donne donc une trempe plus rapide sur le tranchant que sur le reste de la lame.
Le troisième cément contient de la terre blanche (carbonate de chaux, qui se décomposera en CO2, lequel avec le carbone excédentaire donnera du CO), des oeufs d’oiseaux (carbone organique) ou bien de la cendre d’oliviers ou d’autres bois (idem) brûlés avec de l’huile et du sel. Après martelage, on trempe les lames dans l’huile ou dans l’eau suivant leur fragilité.
Le cinquième cément contient des excréments humains (p e r i t t w m a t a ), mais le contexte n’est pas suffisamment précis pour savoir s’ils entrent dans la composition du cément ou du bain de trempe. L’urine, eau chargée en sel trempe plus vite.
Selon Théophile on effectuait
des trempe à l’urine de bouc.
Celle-ci n’a pas de propriétés particulières mais
c’est le cas de beaucoup de
produits qui contiennent un peu de " poudre de perlimpinpin "
qui fait
leur réputation commerciale. L’urine contient aussi du NH3
qui se
décompose et pourrait en théorie nitrurer la surface.
Cependant, la nitruration est une
opération très lente. D’autres part, il s’agirait ici,
d’une
carbonitruration, ce qui ne paraît pas compatible avec les
analyses, car les nitrures y
apparaissent dans une structure ferritique. la cause est plus
probablement la réduction
au feu de tourbe séchée comme le propose Jean R.
Maréchal (6) ou l’ingestion de
petits morceaux de fer par des animaux avec récupération
dans les excréments comme le
proposait Salin.
Il est à noter, que les anciens Égyptiens connaissaient
déjà la nitruration. Du temps
des pharaons, le fumier de chameau était un combustible fort
convoité. Si l’on met
une lame de fer dans un feu alimenté par ce combustible, l’azote
pénètre dans la
pièce par diffusion. Quand à savoir si les
égyptiens avaient effectivement découvert
empiriquement l’effet de cette opération ou s’il s’agit du
résultat
actuel d’une démarche de pensée, nous ne saurions nous
prononcer.
Il n’y a pas moyen d’assurer une cémentation totale de la lame. Mais, Théophile, lui, prescrit d’enduire les lames de vieux saindoux, d’entourer de courroies, de couvrir d’argile puis de chauffer, ce qui devait assurer une carburation en plus grande profondeur.
Le procédé de cémentation est le plus ancien procédé thermochimique maîtrisé par l’homme. Toutefois, à l’époque antique, on pensait que l’effet du maintient prolongé du fer dans le charbon de bois était plus de le nettoyer que d’y faire pénétrer un élément par diffusion. la première cémentation au sens actuel du terme, réalisée sous forme de traitement thermochimique a été décrite par Théophile en 1130 après J.C. Mais ce n’est que 650 ans plus tard qu’un savant Suédois découvrit que le fer et le carbone constituent un alliage (1781).
Références bibliographique
(1) éditions HALLEUX, 1980: Alchimistes Grecs. 1. Papyrus de Leyde
(2) éditions Hedfors, 1932: Compositiones ad tingenda musiva
(3) éditions PHILLIPPS, 1847: Archaelogia
(4) éditions BERTHELOT, 1888-1889: Collection des anciens alchimistes grecs
(5) Maréchal J.R., 1958: " étude sur les propriétés des cuivres à l’arsenic "
(6) Maréchal J.R., 1963: Revue de la métallurgie, 60, p 135-142.
B/ Les aciers damassés
Les épées en acier damassé étaient réputées pour leur acuité et leur résistance. Cependant, les légendes attachées à leur traitement thermique ainsi que les motifs inhabituels sur leurs surfaces, appelés damas, ont largement contribué à la célébrité de ces lames.
Les premières épées damassées furent réalisées en Inde. L’acier utilisé provenait des mines de Hyderabad et se caractérisait, sur la surface du métal poli, par une sorte de moirage ou de veinage composé de fibres serpentantes.
Voulant imiter l’aspect de ces lames, des forgerons arabes créèrent un damas et ce sont ces peuples qui ont apporté cette connaissance en occident où elle a connu un grand essor durant le moyen âge. Le principe de fabrication consistait à forger les lames à partir d’une pièce unique, composée d’un acier naturel provenant des mines de Damas.
Cependant, cet acier contenait environ 2% de carbone, niveau trop élevé pour obtenir les caractéristiques mécaniques optimales. Il fallait donc le marteler à une température proche de 1000°C (correspondant à un métal orange vif) tout en réalisant des pliages multiples. En effet, ces opérations permettaient de faire baisser la teneur en carbone de la surface fraîchement exposée à l’air, le carbone de l’acier se combinant avec l’oxygène pour former du monoxyde de carbone. L’interdiffusion du carbone passant des surfaces à haut carbone vers les surfaces à bas carbone permettait d’avoir une homogénéisation du carbone dans l’acier.
Le produit final est un acier damassé ayant d’excellentes caractéristiques mécaniques parce que sa teneur en carbone est à la fois relativement basse (environ 1,3 %) et uniformément répartie dans une matrice à grain fin. On n’obtient pas de structure soudée donnant des motifs visibles, non seulement parce que les couches individuelles de 2 mm d’épaisseur ne sont pas résolubles à l’oeil nu, mais aussi parce que toutes les couches ont la même teneur en carbone (les atomes de carbone traversent une distance de 1,4 mm en 30s à 1000°C).
Contrairement à ce que beaucoup pensent, cette procédure de pliages multiples n’était donc pas effectuée dans le but de produire des milliers de couches distinctes et alternées à bas et haut carbone afin d’augmenter les caractéristiques mécaniques de l’acier.
La fabrication d’une lame en acier de Damas ne s’arrête pas là et il reste encore à réaliser les motifs en surface qui faisaient sa particularité. Cette opération, appelée damasquinage, était en fait assez simple. Les forgerons attaquaient le métal poli avec de l’acide et des dessins similaires à ceux du " damas naturel " apparaissaient sur la lame.
Comme exemple de lames damassées, nous pouvons citer Durandal, l’épée de Roland qu’il aurait conquise sur un roi Arabe d’Espagne alors qu’il était encore adolescent. De nombreuses fois, cette épée est citée au cours du poème épique retraçant le combat du preux à Ronceveaux, lequel finit le combat en voulant casser son épée, pour ne pas la perdre, sur un rocher et y aurait pratiqué la célèbre brèche de Roland.
Beaucoup de lames de chevaliers célèbres seraient d’origine sarrasine. Nous pouvons citer comme exemple, en plus de Durandal, Joyeuse, l’épée de CHARLEMAGNE.
C/ Les aciers damassés soudés
Les premières épées de fer étaient trop ductiles (il arrivait que lors de combats, les Gaulois les redressaient au pied). En voulant les durcir, les premiers forgerons les ont cémenté et trempé, obtenant ainsi un acier d’une grande dureté mais trop cassant. En unissant un jour deux métaux dans le corps d’une même lame, on comprit enfin qu’on pouvait réaliser des lames d’épée possédant d’une part la flexibilité du fer et d’autre part la dureté de l’acier.
De plus, ce matériau a l’avantage d’être superplastique à des températures intermédiaires et résistant et ductile à température ambiante. Ce sont ces propriétés qui, à n’en pas douter, sont la cause d’un tel engouement tant au niveau métallurgique que commercial.
Dans certains cas, des tentatives ont été réalisées pour reproduire les motifs caractéristiques des aciers damassés et c’est aux alentours de 1860 que le métallurgiste russe Chernov inventa le label " damassé soudé " pour ces produits en acier.
Ces produits soudés à l’état solide ne doivent surtout pas être confondus avec les vrais aciers de Damas qui, rappelons le, étaient forgées à partir d’une pièce unique.
Dans cette partie, nous allons passer en revue certains de ces composites ferreux soudés à l’état solide et en particulier ceux qui ont un intérêt historique.
1 Exemples anciens
Les découvertes de lames anciennes ont permis aux métallurgistes d’affirmer que l’assemblage à l’état solide de deux matériaux ferreux différents était pratiqué à une époque aussi ancienne que le premier millénaire avant J.C.. Dans la majorité des cas, le produit soudé consistait en un mélange d’un acier avec un fer.
Comme exemple d’acier à moyen carbone soudé à un fer, nous pouvons citer une lame d’herminette fabriquée par des artisans Grecs aux environs de 400 av J.C.. Elle comporte une arête tranchante en acier à moyen carbone soutenu par un fer forgé.
La teneur en carbone des aciers utilisés pour réaliser de telles lames n’avait pas une importance primordiale. Elle pouvait varier de bas à haut et même très haut carbone.
Les produits composites fabriqués par soudage à l’état solide découverts sont nombreux et comportent un grand intérêt historique. Cependant, il est impossible de les aborder tous et nous nous contenterons d’en étudier deux d’entre eux qui nous paraissent plus intéressants: une lame mérovingienne (Europe ancienne) et un kriss (Indonésie).
Nous pouvons également citer l’épée Japonaise mais une partie lui est réservée plus loin car elle revêt un intérêt particulier du fait de la complexité de son élaboration et de sa qualité.
a) Lame mérovingienne
Le principe de fabrication de ces lames consistait à empiler des bandes alternées de fer pur et de fer cémenté, puis à les marteler ou les forger ensemble selon une technique comportant des pliages et des torsions. L’arête tranchante était en acier à haut carbone. Les motifs dûs aux couches différentes étaient rendus visibles par un meulage et une attaque chimique de la surface.
Bien qu’une lame portant le nom de la première dynastie franque (500-751 ap J.C.) ait été retrouvée (fig. 1), cette technique de fabrication a été estimée comme datant approximativement de la fin du deuxième siècle. En effet, les objets en fer fabriqués avant cette date sont souvent trop fortement corrodés pour qu’on puisse effectuer un examen métallurgique de leurs surfaces.
D’après Cyril Stanley Smith, les lames mérovingiennes étaient fabriquées principalement près du Rhin mais les guerres et le commerce ont contribué à l’expansion de cette technique.
b) Kriss
Le kriss est un type de couteau fabriqué par les indonésiens depuis, d’après Cyril Stanley Smith, la fin du 14ème siècle.
L’ancien métallurgiste Walter Rosenhain, pour sa part, décrit la fabrication d’un kriss relativement moderne. Il est réalisé par soudage à l’état solide d’un acier à outil (un acier à haut carbone tel qu’on en emploie couramment pour les outils et en coutellerie) à des couches soudées de fer forgé. En outre, il explique que " l’imperfection des soudures (à l’état solide) entre les couches de fer forgé joue aussi un rôle important dans la formation du motif damassé ".
Actuellement, le kriss est surtout utilisé comme arme de décoration mais il est encore utilisé lors de danses semi-religieuses à Bali et dans d’autres îles de l’Indonésie. Les danseurs finissent par se mettre en transe et arrivent même à se blesser assez grièvement.
2 L’épée japonaise
Le produit soudé à l’état solide le plus fameux est probablement l’épée japonaise. Elle est réalisée à partir d’une lame en acier à très haut carbone (appelé uagane) qui était " enroulée " et soudée par forgeage à un acier à bas carbone doux. La température spécifique de forgeage était, d’après les métallurgistes, d'environ 1000-1100 °C. A ces températures, une liaison s’établit facilement du fait de la diffusion rapide du fer et de l’interdiffusion du carbone passant de l’acier à haut carbone à l’acier à bas carbone. De plus, à ces températures les métaux sont très doux et ductiles et leurs pellicules d’oxydes se brisent facilement.
L'uagane de l’épée japonaise est un acier à très haut carbone (environ 1,3 % C) obtenu à partir d’un tama-hagane, produit de réduction fabriqué à partir de minerai de fer, de sable et de charbon de bois. Le tama-hagane contenait environ 1,9 % C, niveau trop élevé pour les caractéristiques mécaniques optimales. Il était donc forgé, replié sur lui-même et soudé à l’état solide par un nouveau forgeage. Ce procédé était répété plus de 15 fois jusqu’à obtenir la forme voulue et un taux de carbone plus faible. Le principe d’obtention d’un tel acier est le même que celui des aciers damassés, que nous avons décrit précédemment.
Après la liaison des deux aciers, nous avions donc une lame comprenant une couche d’acier uagane sur toute sa surface, enveloppant complètement le coeur en acier à bas carbone. La lame subissait ensuite un traitement thermique pour augmenter sa dureté, le centre devant garder une dureté plus faible (et donc une meilleure résilience). Elle était enchâssée dans de l’argile, celle-ci ayant seulement une faible épaisseur sur l’arête de la lame où l’on désirait avoir la dureté maximale. Le traitement thermique a été effectué probablement à environ 50°C au-dessus de Ac1, température de l’eutectique du diagramme Fer-Carbone (727°C). Cette température relativement basse réduit l’interdiffusion du carbone dans le coeur en fer doux et donne aussi la dureté maximale possible de l’arête à haut carbone de la lame après la trempe.
Le motif visible sur la surface de l’épée japonaise provient des différentes réponses de l’acier à haut carbone à l’attaque des produits de transformation obtenus par la trempe depuis une température supérieure à Ac1 de la martensite-bainite sur l’arête de la lame et une structure perlitique ensuite. Le coeur en fer forgé de l’épée n’est naturellement pas affecté par ce traitement thermique. (Disons toutefois qu’il est parfois possible d’observer de véritables motifs d’acier de Damas sur une lame d’épée japonaise, comme résultat de sa haute teneur en carbone et de l’histoire de son traitement).
3 19ème Siècle: Naissance de l’acier damassé soudé
La technique de production de l’acier de Damas soudé est très récente. Elle comporte essentiellement le soudage d’un acier à un fer en bandes en vue de procurer la résistance et la structure adéquates à des canons de fusil et à des lames d’épée. Cyril Smith place son origine en Extrême-Orient au 16e siècle. Au 18e siècle, elle était pratiquée en Europe.
Il faut noter que certaines épées faites de cette manière représentaient de véritables aciers de Damas.
Dans le district russe de l’Oural, aux 16e et 17e siècles, les lames damassées soudées étaient élaborées en joignant ensemble des bandes de fer cémentées puis en les pliant et en les ressoudant. Les bandes en fer cémenté à très haut carbone étaient appelées " acier bulat ". Le produit soudé à l’état solide était le " bulat soudé ".
Dans certains cas, plusieurs bandes soudées étaient tordues puis ressoudées et enfin reforgées afin d’obtenir des motifs d’une plus grande complexité.
L’intérêt pour l’acier damassé soudé a atteint son maximum en France au début du 19e siècle. La technique était alors si développée que, par exemple, une inscription " écrite " sur un acier pouvait être incorporée à une lame d’épée.
Quelle que soit la technique spécifique utilisée, tous les composites feuilletés soudés à l’état solide étaient soudés puis forgés à une température suffisamment basse pour éviter une diffusion excessive. Les deux matériaux différents constituant le composite étaient en général un acier à bas carbone ou un fer forgé et un acier à très haut carbone. L’épée japonaise en est un bon exemple. Mais des aciers damassés soudés étaient aussi constitués d’un acier à bas carbone et d’un acier à haut carbone. Dans certains cas les soudures à l’état solide étaient exécutées entre un fer forgé et un acier à bas ou moyen carbone. La lame mérovingienne en est un bon exemple.
D/ Nouveaux composites feuilletés
1 Version moderne de l’épée japonaise
Les simulations ont été effectuées sur le procédé des pliages multiples servant à la fabrication de l’acier uagane, en employant une méthode qui optimise le maintien d’une microstructure feuilletée. Cette technique rigoureuse consiste à lier entre elles par laminage des couches alternées d’un acier à très haut carbone et d’un alliage Fe-3%Si à la température relativement basse de 700°C. Le composite feuilleté ainsi obtenu est découpé en plusieurs sections, ces sections sont empilées, puis l’empilage est laminé. Cette procédure est répétée jusqu’à ce qu’on obtienne l’épaisseur voulue du composite feuilleté.
Les micrographies optiques (grossissement 100) montrent le composite feuilleté après trois étapes de sa fabrication: 25, 250 et 2500 couches.
Etudions maintenant les photomicrographies au microscope électronique à balayage.
Celle de gauche est celle du composite feuilleté à 2500 couches et révèle une épaisseur individuelle de couche de 5 mm. La séparation des deux constituants est très nette malgré la forte déformation thermomécanique. Ceci n’a été possible qu’en raison des conditions spéciales de la fabrication et des composites de couches choisies. D’abord, le choix d’une température de travail inférieure au point Ac1 de l’acier à très haut carbone (727°C) n’occasionne aucune dissolution des carbures. Ensuite, le silicium de l’alliage Fe-3%Si empêche la diffusion du carbone dans celui-ci en provenance de l’acier à très haut carbone.
Les deux autres micrographies montrent ce qu’il arrive lorsque ce composite feuilleté à 2500 couches est ensuite laminé à 700°C. Quand une épaisseur de couche de moins de 1 mm est obtenue (à droite), le composite révèle une répartition homogène des carbures avec une grosseur de grain égale à plusieurs fois l’épaisseur des feuillets. Ce résultat vient appuyer la théorie selon laquelle un pliage multiple du genre de celui utilisé pour fabriquer l’acier uagane des épées japonaises donne une microstructure homogène. Il faut également ajouter que la haute température lors du pliage (1000°C) et l’absence d’inhibiteur de diffusion (de silicium par exemple) ajouté durant la fabrication produisent des structures homogènes beaucoup plus aisément que dans cet exemple moderne.
2 Propriétés particulières de ces nouveaux composites
Une étude effectuée à Stanford a révélé que les aciers à grain fin à très haut carbone peuvent être facilement soudés à l’état solide soit entre eux, soit à d’autres métaux ferreux. En fait, les structures ultra fines permettent la liaison à des températures inférieures à Ac1, ceci étant rendu possible par le grand nombre de joints de grains qui favorisent la liaison aux interfaces en accélérant la diffusion.
L’aptitude à lier ces aciers à eux-mêmes ou à d’autres métaux ferreux à une température inférieure à Ac1 est une propriété clé des aciers à très haut carbone pour plusieurs raisons:
1-Une basse température de liaison signifie que les composites ferreux feuilletés peuvent être fabriqués sans détruire la structure ultra-fine des aciers à très haut carbone.
2-Dans l’élaboration des aciers à très haut carbone par la métallurgie des poudres, des poudres solidifiées rapidement et ayant des structures fines peuvent être compactées à des températures intermédiaires, conservant ainsi cette structure fine dans la pièce frittée.
3-Les composites feuilletés en acier à très haut carbone peuvent être traités thermiquement sélectivement: une trempe depuis une température juste supérieure à A1 crée un composite comprenant des couches alternées de martensite ultra dure et de fer doux.
4-Les composites feuilletés peuvent posséder des propriétés superplastiques.
L’étude citée précédemment sur des composites ferreux feuilletés a donné les résultats suivants à propos des propriétés telles que la ténacité et la plasticité.
a) Ténacité
Un domaine d’intérêt actuel est celui des propriétés de résilience de ces matériaux. On notera que les composites feuilletés en aciers à très haut carbone sont assez semblables aux objets anciens soudés à l’état solide. Ces matériaux modernes sont constitués de couches alternées d’acier à très haut carbone (1,0 % C) et d’acier AlSi 1020, liées ensemble à l’état solide à une basse température de 650°C par laminage. Des composites formés de douze couches (six couches de chaque acier) ont été fabriqués.
Les composites ont été testés à l’état brut de laminage (sans traitement thermique). L’orientation favorable à l’arrêt de la propagation des fissures a été le principal sujet étudié. Des liaisons excellentes ont été obtenues du point de vue microstructure et les résultats d’essais de flexion simple prouvent une très bonne intégrité des liaisons. La liaison n’est pourtant pas parfaite, ce qui est avantageux pour certaines propriétés de résilience.
Des énergies de rupture élevées lors d’essais de résilience ont été obtenues avec ces composites feuilletés, plus élevées que celles de leurs constituants.
La résilience élevée est due aux liaisons bonnes (mais non parfaites) entre les feuillets. Une augmentation de la résistance de la liaison au moyen d’un traitement thermique, par exemple, entraîne une diminution de l’énergie de rupture de résilience.
Des études similaires sont en cours avec pour objectif d’élever la résistance à la fatigue de l’acier à très haut carbone par un feuilletage. L’objectif est ici d’émousser la pointe des fissures de fatigue à l’aide d’une délamination des interfaces, ce qui allonge la durée de vie en fatigue.
Ces observations peuvent aider à expliquer le comportement au choc des pièces damassées soudées. Les soudures à l’état solide dans de ces matériaux n’étaient, elles aussi, pas parfaites. En effet, beaucoup d’entre elles contenaient des particules d’oxydes et de laitier. Si de tels plans affaiblis se trouvaient dans l’orientation favorable à l’arrêt des fissures, il pouvait en résulter des propriétés de résilience améliorées.
b) Superplasticité
L’étude effectuée sur des composites feuilletés modernes à acier à très haut carbone ont révélé qu’un composite comportant des constituants superplastiques ajouté à des composants non superplastiques présentait quant à lui un comportement superplastique. Un acier à bas carbone ou un acier inoxydable, ni l’un ni l’autre superplastiques, peuvent donc, une fois feuilletés avec un acier à très haut carbone, présenter des allongements à la rupture de plus de 800 %.
3 Etudes actuelles
Malgré toutes les études effectuées au sujet de l’art ancien de la fabrication des composites ferreux feuilletés, certains paramètres tels que les températures de liaison, les techniques de préparation des surfaces ou bien les procédures de traitement thermique restent encore inconnus. En outre, les étapes réellement suivies dans la fabrication des métaux constituant un composite feuilleté n’ont jamais été décrites avec précision par les anciens forgerons.
L’importance possible de l’épaisseur des couches intermédiaires et la documentation les concernant n’étaient apparemment pas un objet d’intérêt. L’épaisseur était dictée par l’esthétique des motifs obtenus à la surface des pièces ou par l’optimisation des caractéristiques mécaniques.
De plus, aucun document n’a été découvert pour prouver qu’une liaison à l’état solide n’a jamais été réalisée à des températures inférieures à Ac1. Cependant, il est fortement probable que la liaison était faite à des températures relativement basses (inférieures à 1000°C) où la diffusion du carbone dans l’austénite est ralentie.
D’autres facteurs importants tels que la température et le milieu de trempe jouent des rôles clés dans l’élaboration de la lame et restent à ce jours relativement inconnus. Le temps de maintien à température est aussi critique car il dicte la quantité d’interdiffusion et par conséquent le type et la qualité des produits de transformation.
De telles considérations forment la base des futures recherches sur les composites feuilletés ferreux. L’objectif essentiel sera d’obtenir des caractéristiques mécaniques spécifiques pour ces matériaux.
E/ LES ARMES BLANCHES MODERNES
Dans ce chapitre, nous traiterons essentiellement
des armes telles que
couteaux, baïonnettes et poignards; le chapitre suivant
étant exclusivement consacré
aux armes d’escrime.
Les procédés de fabrication des couteaux et autres
poignards n’a que peu évolué
par rapport aux précisions données dans
" l’encyclopédie " de
DIDEROT et D’ALEMBERT au 18ème siècle.
Nous traiterons dans un premier temps les armes de guerre, puis nous nous intéresserons aux armes blanches présentes dans le commerce.
1 les armes de guerre
L’apparition des armes à feu marque le
déclin de
l’utilisation des armes blanches lors des conflits; seuls ont
subsisté les poignards
et les baïonnettes. Au 19ème siècle, ces
deux armes fusionnent pour donner
la baïonnette telle que nous la connaissons actuellement.
Les qualités recherchées pour ce type d’arme sont
essentiellement la dureté et la
résilience. La flexibilité, pour des raisons
évidentes, n’est pas souhaitée.
Ces exigences conduisent à la solution adoptée par
l’entreprise BALP, qui fournit
l’armée française:
L’acier utilisé est soit du XC38, soit du
XC42 (C40).
Il est trempé, puis revenu deux fois afin d’en améliorer
la résilience.
On lui fait ensuite subir un grenaillage, pour améliorer sa
dureté superficielle.
D’autres nuances sont utilisées, pour des utilisations plus spécifiques. Par exemple, les poignards de la marine nationale doivent pouvoir neutraliser les mines magnétiques sous-marines. A cet effet, ils sont composés d’un alliage spécial à faible teneur en carbone, élaboré à cette occasion.
2 Les armes blanches présentes dans le commerce
Les couteaux occupent la majeure partie de cette catégorie. Leur fabrication ne s’est différenciée de celle des poignards qu’avec l’apparition des aciers inoxydables. En effet, leur usage domestique demande plus d’hygiène et moins d’entretien. Cette caractéristique mise à part, les couteaux requièrent les mêmes exigences que les armes de guerre, à savoir, une dureté élevée et une bonne résilience.
Les matériaux utilisés répondent en général à ces trois propriétés, mais obéissent à un autre facteur: le coût. C’est pourquoi on rencontre diverse qualité de matériau:
-l’acier Z100CD17 (ou le 440C norme
US) pour le haut de gamme
(couteau de chasse).
-l’acier Z70CD15 (ou le 440A norme US) pour le couteau haut de gamme,
à cran
d’arrêt avec un resort en Z20C13.
-l’acier Z30C13 pour le bas de gamme (couteau de table classique).
Les procédés de
traitement thermique restent classiques car la taille
des lames est faible. Cependant, l’austénitisation s’effectue
à la
température élevée de 1000°C pour ces deux
qualités extrêmes. Ces aciers sont
trempés à l’huile, pour limiter les contraintes
résiduelles dans la structure
martensitique.
Le Z30C13 est revenu à une température comprise entre
625°C et 675°C, tandis que le
Z100CD17 est revenu entre 180°C et 210°C.
La dureté obtenue est de 59HRC pour le 440C, de 56HRC pour le
440A et de 51HRC pour le
Z30C13.
La résilience de ces aciers est de l’ordre de 2.5KCU.
Selon la législation en vigueur, tout objet perçant peut être considéré comme une arme blanche. C’est pourquoi nous limitons cette partie aux couteaux.
F/ LES ARMES D’ESCRIME MODERNE
L’escrime moderne,
dérivée des duels de la renaissance, est
aujourd’hui un sport à part entière.
Comme dans la plupart des autres sports au cours du dernier
siècle, l’apport de la
technologie a permis d’améliorer considérablement les
performances des athlètes et
leur sécurité.
Les trois armes actuellement utilisées en compétition sont:
le fleuret: lame de 90cm de longueur, poids maximal 500g.
l’épée: lame de 90cm de longueur, poids maximal 750g
le sabre: lame de 90cm de longueur, poids maximal 500g
La sécurité des
escrimeurs est directement liée aux propriétés
mécaniques des armes utilisées (une lame qui se brise
entraîne souvent des blessures
graves, voire mortelles).
C’est pourquoi la métallurgie des armes s’est attachée
à développer de
nouveaux matériaux, possédant les
propriétés mécaniques souhaitées.
1 Propriétés requises par les armes d’escrime
L’arme, lorsqu’elle atteint sa cible,
doit fléchir. Les
coups portés sont parfois très appuyés, la lame
doit donc posséder une grande
flexibilité.
La limite élastique de la lame doit donc être
très élevée, pour qu’elle
retrouve sa forme initiale après la flexion.
Il est primordial, pour la sécurité des tireurs,
d’éviter la rupture de la lame,
même lorsque la limite d’élasticité a
été dépassée. La dureté de
la
lame doit donc être importante.
Toujours pour éviter la rupture de la lame, la mise en oeuvre doit être très soigneuse afin d’éliminer les défauts (criques...).
Les contacts entre les lames peuvent être violents, il ne faut donc pas négliger la résistance aux chocs d’une épée. La résilience doit être suffisante.
La durée de vie d’une épée est assez grande pour que les problèmes de corrosion soient pris en compte dans le choix et la mise en oeuvre d’un matériau.
Tout le travail des métallurgistes est donc de concilier ces différents facteurs, avec le meilleur compromis. Depuis 1960, les aciers maraging sont utilisés dans l’industrie et ont connu un développement très rapide. Leurs propriétés remarquables ont séduit les fabricants d’armes d’escrime, ainsi que la Fédération Française d’Escrime.
2 Une solution récente: les aciers maraging
Les aciers maraging sont des aciers de composition très complexe, riches en nickel, cobalt et molybdène; d’autres éléments d’alliage comme le titane et l’aluminium entrent aussi dans leur composition.
Le terme maraging est une contraction de " martensitic aging ", qui caractérise le mode de traitement thermique.
a) Composition chimique des aciers maraging
b) Propriétés mécaniques des nuances courantes
Ces résultats sont obtenus après une trempe d’1 heure et un vieillissement de 3 heures à 480°C, les refroidissements étant effectués à l’air.
Limite élastique: E0.2 (Mpa)
1300 à 2100
Résistance à la rupture(MPa) 1400 à 2100
Allongement(A%) 6 à 12
Striction(Z%) 35 à 65
Résilience(KCU) 2.5 à 6
c) Les traitements thermiques des aciers maraging
Les aciers maraging sont principalement composés d’un alliage Fer-Nickel. L’étude des diagrammes Fer-Nickel ci-dessous donne As, Af et Ms, Mf pour un alliage à 18% de Nickel.
A l’aide d’un diagramme TRC, on obtient le résultat suivant: pour toute vitesse de refroidissement comprise entre 2°C/min. et 150°C/min., la transformation est martensitique et il n’existe pas d’austénite résiduelle (car Mf=215°C).
Ce résultat montre qu’une
trempe à l’air est suffisante. De
plus, comme Af et Ms sont éloignées, il est possible de
pratiquer une opération de
recuit à température élevée sans formation
d’austénite.
Ce vieillissement en phase martensitique permet la précipitation
d’éléments
d’addition, qui donnent à l’acier maraging ses
propriétés exceptionnelles.
Ces propriétés rendent le traitement thermique
très simple puisque seuls une trempe et
un revenu sont nécessaires.
La trempe
La mise en solution s’effectue entre 800 et 850°C, et un
refroidissement à
l’air transforme l’austénite en martensite " douce "
(Lath
Martensite). Sa structure cristallographique est cubique
centrée, et sa structure
métallographique est une juxtaposition de plaquettes
allongées.
Les propriétés mécaniques de l’acier dans cet état sont:
R environ 1000 Mpa
E0.2 environ 800 Mpa
A% environ 15
Il faut éviter la pollution par le carbone ou le soufre lors de la mise en solution; il n’est pas nécessaire de prendre de précautions supplémentaires.
Le revenu ou vieillissement
La dureté des aciers maraging est augmentée par la
précipitation de composés
intermétalliques; ces précipités se forment
pendant l’opération de revenu.
La grande densité de dislocations de la martensite " douce " favorise la répartition uniforme des précipités tels que Ni3Mo ou Ni3Ti, qui améliorent considérablement les propriétés mécaniques du matériau.
Les courbes suivantes justifient les paramètres de revenu généralement employés dans l’industrie: 3 heures à 480°C.
Les recherches actuelles sur les aciers maraging ne s’orientent pas vers la réalisation de nouveaux traitements thermiques, puisque ceux-ci sont parfaitement adéquats, mais plutôt vers une modification des proportions des éléments d’addition. En effet, on modifie les propriétés mécaniques des aciers maraging en modifiant leur composition chimique et non leur traitement thermique.
3 Etude des données constructeur
L’entreprise BLAISE FRERES, qui
fabrique des lames d’escrime
distribuées dans le monde entier, nous a communiqué
quelques informations sur la
composition et l’élaboration de son acier maraging.
La mise en solution s’effectue à 820°C pendant 1 heure.
Le revenu s’effectue à 480°C pendant 3 à 5 heures.
Composition chimique:
C 0.03%
Si 0.05%
P 0.002%
Mn 0.01%
Ni 18.66%
S 0.001%
Mo 5.08%
Cr 0.06%
Co 8.84%
Ti 0.75%
Al 0.13%
Nous allons maintenant étudier, pour comprendre ce choix, l’influence des différents éléments d’addition.
Le cobalt et le molybdène augmentent la résistance à la traction et à la corrosion sous contrainte des aciers maraging. Pour illustrer cette propriété, deux éprouvettes d’acier maraging avec et sans addition de molybdène et de cobalt ont été placées dans de l’eau de mer, soumises à une contrainte voisine de la contrainte élastique. Les premières se sont rompues au bout de 240 jours, tandis que les secondes n’ont tenu que 3 jours.
Le titane améliore aussi la résistance à la traction d'environ 70 Mpa pour 0.1% de titane en plus. Par contre, il abaisse le point de température Ms d’environ 27°C par % de titane ajouté, et a tendance à la ségrégation. Pour ces raisons son addition n’excédera jamais 0.7%.
Les teneurs en silicium et manganèse influent sur la résilience. Elles devront toujours être inférieures à 0.12%, leur somme n’excédant jamais 0.2%.
L’aluminium est un désoxydant et améliore la résistance. Cependant sa teneur restera comprise entre 0.1% et 0.2% pour que l’alliage garde une résilience suffisante.
Des traces de bore (0.003%) et de zirconium (0.02%) rendent l’alliage plus résilient et plus résistant à la corrosion sous contrainte.
Dans l’élaboration des aciers maraging, nous avons vu qu’il faut éviter la pollution par le carbone lors du traitement thermique (teneur maximale en carbone 0.03%). En effet, le carbone réagit avec le titane et le molybdène pour former des carbures. Ce phénomène diminue considérablement les propriétés mécaniques de l’acier.
De même, l’azote (formant des précipités) et le soufre devront être éliminés au maximum. Du calcium sera ajouté pour atténuer l’effet du soufre.
Micrographie d’une surface de rupture due à la formation de précipités de TiC,TiN,Ti2S.
Le phosphore en faible quantité ne semble pas fragiliser l’acier maraging (<0.015%), le chrome reste sans effet sur les propriétés mécaniques, du moins pour une teneur inférieure à 0.5%.
Le choix des éléments d’addition pour le matériau étudié répond bien aux propriétés mécaniques requises pour la réalisation de lames d’escrime.
BIBLIOGRAPHIE
Editions HALLEUX, 1980: Alchimistes Grecs. 1. Papyrus de Leyde.
Editions Hedfors, 1932: Compositiones ad tingenda musiva.
Editions PHILLIPPS, 1847: Archaelogia.
Editions BERTHELOT, 1888-1889: Collection des anciens alchimistes grecs.
Maréchal J.R., 1958: " étude sur les propriétés des cuivres à l’arsenic ".
Maréchal J.R., 1963: Revue de la métallurgie, 60, p 135-142.
Les armes blanches modernes - 1971 - Christian-Henry TAVARD - Editions Balland.
L’encyclopédie - Diderot et D’Alembert - Fabrique des armes - Editions Inter-livres.
Encyclopédie médiévale d’après Viollet Le Duc - Editions Inter-livres.
Sciences et profession - L’acier maraging: - par G. Maeder et par R. Ravez et G. Billon.
Science et profession - 1986 - Aciers damassés soudés et nouveau type de composites feuilletés - par J. WADSWORTH, DONG WHA KUM et O. D. SHERBY.
Les origines de la civilisation technique - tome 1.
Encyclopédie internationale des sciences et des techniques.
Nous remercions:
Blaise Frères.
BALP St Etienne.
France lames.
Les établissements LAGUIOLE.
Joël St Mézard, maître d’armes.
pour les renseignements qu’ils nous ont apportés.